Les plus anciens d'entre vous se souviendront peut-être m'avoir déjà croisé sur des topics traitant des Lasius fuliginosus et plus globalement des Lasius à fondation dépendante. Si vous avez un moment et que le sujet vous intéresse, vous pouvez allez voir ce topic participatif, ou plusieurs d'entre nous avions fait des tentatives aux résultats variés.
Je suis en effet mordu de ces espèces, pour plusieurs raisons.
Déjà, les Lasius fuliginosus sont magnifiques, et ont un comportement tout à fait unique. Je pense qu'on a tous déjà vu leurs autoroutes à pucerons (sauf peut-être @Seed noir ), c'est toujours sympa.
Ensuite, ce qui m'amuse beaucoup dans l'élevage des fourmis, c'est de réussir la fondation. En l'occurrence le challenge est de taille.
Quasiment chaque année, le destin poussait dans mes tubes une ou deux reines Lasius fuliginosus (j'attends encore celle de cette année...) ; et ce jusque mon expatriation en 2018 où j'ai été contraint de mettre fin à mes élevages et expérimentations. De retour depuis début 2020, je m'y suis remis et j'ai eu comme la tradition le veut, ma belle petite gyne L. fuliginosus annuelle.
Fort de mes expériences précédentes, je sais déjà que les Lasius à fondations dépendantes ne survivent que très peu de temps seules en tube, et qu'il faut impérativement les nourrir tous les 2 jours pour maximiser les chances de survie. Sitôt "entubée" ( ) elle est donc immédiatement nourrie de mon fameux pseudo miellat de l'espace ultra secret.
Il se trouve que je suis également adepte du jardinage (oui il y a un rapport, attendez). Cette année, en m'occupant de mes tomates, j'avais pu observer dans une de mes serres une colonie mixte de Lasius noire et jaune ! Concrètement, des ouvrières Lasius probablement niger et leurs parasites Chthonolasius. C'était la première fois que j'observais in natura ce stade de parasitisme. Grâce à mon sens aiguisé de déduction, j'ai donc pu établir que les jaunes en question étaient des Chthonolasius. Or je rappelle que les Lasius fuliginosus ; bien qu'il soit possible de les faire fonder en mettant à leur disposition des esclaves de Lasius niger ; sont surtout des parasites de Chthonolasius (Elles sont donc parasites de parasites !).
Ainsi, en prélevant une petite cinquantaine de cocons de Chthonolasius et en les fournissant à ma gyne, je la mettais en présence de son hôte naturel et je maximisais ses chances de succès en lui offrant les esclaves optimales.
Comme d'habitude, je mets d'abord la gyne avec les cocons. Elle s'y "baigne" allègrement, puis j'introduis ouvrières Chthonolasius pour déballer les cocons le moment venu. Rapidement, les signes d'agressivité s'estompent. Le lendemain matin cependant, je ne retrouverai qu'une seule des trois ouvrières vivantes.
Dans les jours qui suivirent, les premières ouvrières ont commencé à naître. Ce moment charnière est toujours assez délicat : les ouvrières introduites ne nourrissent pas forcément la gyne, et celles fraîchement émergées sont encore blanches et incapables de s'occuper de la gyne pour au moins 2-3 jours. À ce stade donc, rien n'est encore gagné, et je nourris toujours abondamment en tube en partant du principe que la gyne doit se nourrir plus ou moins seule avec pas ou peu de réserves.
Le temps passant, les ouvrières se sont enfin mises au travail et ont commencé leur travail ingrat de soin à la parasite. Rapidement, la gyne a gonflé comme un bibendum et a pondu une petite grappe d'oeufs. De mémoire, nous sommes début août.
J'ai d'abord cru que le fait d'avoir les esclaves optimales raccourcirait le temps de développement du couvain, scandaleusement long chez cette espèce : le nourrissage pouvait être plus adapté, car meilleure communication entre les larves et les ouvrières ? Que nenni... Début novembre au moment de la mise au frais, je n'ai toujours qu'un petit tas de larves L1. Qu'à cela ne tienne.
Début mars, sortie de diapause. La gyne va bien, pas de casse. À savoir que je nourris toutes les 2 semaines pendant la diapause, donc j'étais relativement confiant. Je connecte le tube à une petite ADC grillagée, et je me mets à les gaver. Littéralement. Et ce qui est fou, c'est que c'est un puits sans fond.
La gyne est de nouveau grosse comme une fourmi pot de miel, et les ouvrières nettoient consciencieusement la petite languette sur laquelle je dépose mon miellat, et ce tous les jours. À ce stade, je ne nourris qu'aux liquides sucrés protéinés. Au fil des mois, les larves grossissent. Dès que je vois des L2, je donne des petits vers de farines qui sont rapidement déposés sur les larves. J'ai également de nouvelles pontes, imposantes à souhait.
Voir l'image en grand
Ici, nous sommes mi-mai. Sa majesté nous montre ses fesses. On voit les larves sur la droite, et la masse blanchâtre sur la gauche est constituée de centaines d'oeufs.
Petite remarque sur le couvain. Chez la plupart des espèces, la taille du couvain est en fonction du nombre d'ouvrières. Ainsi, plus l'effectif total de la colonie sera important, plus la reine fera de grosses pontes. Ici, on constate une réelle disproportion entre les pontes et le nombre d'ouvrières. Mon hypothèse est que, en milieu naturel, la parasite s'en prend à des colonies adultes ou du moins bien installées, et donc peut pondre à tire-larigot et avoir toujours assez d'ouvrières. En tube, ce n'est évidemment pas le cas. Problème donc : rapidement, mes esclaves vont se retrouver en sous effectif cruel. Attention au burn-out.
Le temps passant, les oeufs deviennent larves.
Voir l'image en grand
Nous sommes le 15 juin. Le tas de couvain a bien augmenté. Ici toutes les tailles sont pêle-mêle, mais en général les larves sont proprement organisées par tailles.
Cependant à ce stade je commence à être inquiet. En effet, j'ai des L3 depuis un moment, mais pas de tissage de cocon en vue. Et si elles n'arrivaient pas à tisser pour une raison X ou Y ? Et si les ouvrières les mangeaient et les donnaient à manger aux larves plus petites ? Sachant que j'avais déjà retrouvé des larves mortes dans le dépotoir, j'avais de quoi être parano. Je décide donc d'aller prélever 3 ouvrières L. fuliginosus dans une colonie sauvage, et de les mettre en tube. Ainsi, si je vois que les esclaves s'occupent "mal" du couvain, je donnerai quelques larves à ces ouvrières.
Puis enfin un beau jour (le 29 juin)...
Cependant, quelques jours plus tard, je trouve un de ces cocons dans le dépotoir. Il a l'air intact, alors je décide de le donner à mes 3 ouvrières auxiliaires. Elles l'ignorent totalement. J'en déduis que c'est un accident de parcours, car les autres cocons apparus entre temps ont l'air de bien se porter. Je reste assez stressé : et si une fois en cocon, les esclaves les rejetaient ? Si je m'étais trompé depuis le début sur l'hôte ? Je garde donc mes 3 auxiliaires sous la main, d'autant que par le passé, j'avais déjà eu le cas où les ouvrières n'ont pas ouvert plusieurs cocons. Elles ont fini par en ouvrir un, et l'ouvrière qui en est sorti a ouvert les suivants une fois bien fortifiée. Globalement, j'ai tout de même l'impression que la réussite de ce genre de fondation tient à de très petites choses qui mises bout à bout constituent un imbroglio assez difficile à démêler.
Pour finir, les photos du jour (13/07/2021) :
Voir l'image en grand
L'atelier tissage est devenu usine. Notez le petit coussin de coton pour aider les larves à tisser !
Voir l'image en grand
Assez curieusement, le gros des cocons est placé près du coton humide.