18 juillet 2021 (J + 390)
Celle qui fut ma préférée dès le début de ce carnet de bord est bien partie pour le rester encore pas mal de temps. Sa majesté
Imperatrix était parmi les deux désailées
Formica rufibarbis de ce carnet celle qui montrait pour sa première année la plus belle santé, en plus d'être la plus grande et la plus colorée (coloration rouge allant jusqu'au début du
gastre). Et bien soit ! Durant cette deuxième année, et de toutes ces petites fondations de
Serviformica du cru 2020, c'est bel et bien la championne toute catégorie du démarrage en trombe. Rembobinons le fil.
A la suite du
Billet n°007 du 2 septembre dernier, l'évolution est, comme attendu, nulle. Ceci nous amenant bien paisiblement jusqu'à début novembre. Alors composée de 8 corvéables, la petite société s'en va en repos hivernal le
14 novembre 2020 (J + 144), pendant que les températures tombent sur la Haute-Saône. Après avoir l'avoir fait déménagé dans un nouveau tube à essai, nous plaçons la société, aux côtés de nos autres fondations, dans une boîte fermée que nous laissons à l'extérieur dans une cour couverte. L'hiver est classique pour le climat continental de notre région : des températures en moyenne comprises entre 0°C et 5°C de par chez nous, ce qui résulte en un froid parfait sous le préau de notre cour.
Le temps du réveil vient le
20 février 2021 (J + 242), achevant un repos hivernal d'environ trois mois. Après avoir rentré quelques jours auparavant nos fondations dans la pièce la plus froide de la maison afin d'assurer une remontée progressive de la température, la société d'
Imperatrix retrouve sa place sur le bureau de ma chambre. L'heure donc d'enlever le cache et d'apprécier la manière dont la société naissante et les fragiles servantes de première génération ont passé leur première diapause. Trois d'entre elles ont trépassé. Sa majesté
Imperatrix se porte bien, et c'est donc accompagnée de 5 corvéables qu'elle part pour cette seconde année : tout est à construire.
** Boîte d'hivernage le 20 février 2021, jour du réveil **
Les premières pontes arrivent début mars. Le redémarrage est au début timide et cela se comprend. Faisant nonobstant toujours preuve de la plus belle agressivité lors des nourrissages, la société montre très vite ses ambitions : elle retrouve à la mi-avril son effectif de la première année. C'est dès la début mai, avec à ce moment 10 corvéables et autant de
cocons, que sa majesté passe la démultipliée. Dès lors, plus une semaine sans voir du
couvain à tous les stades, sans voir la moindre émergence. Les choses vont vite, ou pour être exact, de plus en plus vite. Alors toujours en tube à essai fermé, les corvéables les plus âgées montrent leur mécontentement face à leur condition : elles s'évertuent à tirer le coton d'entrée, en quête légitime d'un monde extérieur où fourrager.
Nous sommes à la fin mai, et nous nous décidons à brancher la petite société à une boîte de bonbons circulaire de 18 cm de diamètre. Après avoir découpé le couvercle en son centre pour créer un plafond périphérique sous lequel nous disposons de l'huile, et avoir aménagé plusieurs trous de liaison et un substrat composé de copeaux de bois et de gravillons trouvés près de chez nous, nous relions le tube à essai à cette aire de
fourragement "made in chez nous" via un tuyau souple transparent PVC. Et c'est là que la vraie nature de ces
rufibarbix s'est révélée. Tournant jusque là comme des lionnes en cage, elles ont désormais un milieu extérieur pour s'exprimer et exacerber l'agressivité innée que l'on connaît des
Formica rufibarbis. La moindre goutte de miel servie est bue et raclée sans laisser la moindre trace sur la mangeoire, la moindre mouche, même encore gigotante, est attaquée avec la plus grande audace (et non témérité) et ramenée
illico presto au
nid. Elles mangent, boivent, dévorent, dissèquent sans fin. Capable de gober jusqu'à trois à quatre mouches par semaine, cet organisme à plusieurs dizaines de têtes remplit le fond de l'aire de fourragement d'exosquelettes évidés, de pattes et d'ailes des malheureux diptères. Cela ne loupe pas : en un mois et demi, elles ont triplé leur effectif jusqu'à atteindre aujourd'hui, à la mi-juillet 2021, plus de 40 corvéables dévouées. Voyez plutôt.
** 9 juin 2021 **
** 20 juin 2021 **
** 10 juillet 2021 **
Désormais montrant les apparats d'une belle petite colonie, nous nous plaisons à zieuter la vie quotidienne de cette société qui a aménagé avec les copeaux de bois l'entrée de la fourmilière. Notons d'ailleurs que face à cette croissance démographique, nous avons courant juin branché à l'aire de fourragement initiale deux autres boîtes pour créer ce que nous avons modestement appelé "l'Archipel".
** Nid et "l'Archipel" **
Entre autres observations, le polyéthisme d'âge et les phénomènes de recrutement face à un nourrissage (de miel ou d'insectes) concentrent notre attention. Oh, rien d'extraordinaire, mais le plaisir de noter et d'analyser par nous-même cette société que nous avons vu grandir. Sur cette quarantaine d'ouvrières, nous notons qu'une dizaine occupent en permanence le tuyau de liaison, en quelque sorte l'antichambre du nid (qui accueille d'ailleurs des cocons quand les ouvrières nourrices en ont l'envie) : nous les présumons dédiées au fourragement. Et pour cause, nous observons tout au long de la journée au moins une fourrageuse à l'extérieur et une antichambre plus ou moins remplie. En présence de nourriture, la manière dont le roulement se fait est belle de précision.
** Nid et aire de fourragement principale **
Une goutte de
miellat, et c'est la première fourrageuse qui après avoir rempli à grandes gorgées son
jabot social s'en revient au nid d'un pas décidé et rapide : s'enchainent alors les
trophallaxies, mais aussi les sorties multiples de cette petite dizaine de fourrageuses alertées. Des premières sorties erratiques, à tâtons, le temps que la goutte soit trouvée par une seconde, puis une troisième, ... Mais après, la mécanique bien huilée est enclenchée et les "trajectoires" entre nid et goutte sont de plus en plus rectilignes, les allées et venues de plus en plus fréquentes et fournies. Une carcasse de mouche domestique, et c'est cette fois le tempérament de chasseresse solitaire de ces ouvrières
Serviformica qui prend le dessus. La corvéable trouvant la carcasse s'y attaque, et s'y attaque seule. Très agressive, elle fait le tour de la carcasse pour faire un état des lieux rapide, puis embarque la proie pour la tirer jusqu'aux alentours de l'entrée du nid. Alors à quelques encablures de celui-ci, elle fait plusieurs allers-retours frénétiques entre la proie et l'orifice d'entrée pour, de manière intéressante, corriger légèrement la trajectoire à adopter, pour au final déposer cette proie dans la fameuse antichambre. Et si la proie est trop imposante pour être ramenée seule, la corvéable de par son tempérament s'acharne et s'obstine, téméraire : ce sont bien les autres fourrageuses de l'antichambre qui, peut-être face au non retour de la fourrageuse, sortent au bout de plusieurs minutes pour l'aider et tracter la "bête". En tout cas, après chaque nourrissage, quand la proie a été ramenée ou la goutte entièrement bue, nous observons pendant les minutes qui suivent une sortie assez massive des fourrageuses : comme le dit l'adage, l'appétit vient en mangeant.