Bonjour à tous,
Je reviens vers vous dans l'optique de vous partager une des rares expériences qui peuvent intercaler au cours d'une vie. Ne tournons pas autour du pot, la chance me fut offerte de participer à l'AntCourse (https://www.calacademy.org/scientists/ant-course). En quelques mots, il s'agit là d'un workshop axé sur la taxonomie et l’écologie des fourmis tropicales réparti entre séances plénières et récoltes de terrain (parce que si on n'a pas les genoux dans la boue, ça reste pas drôle).
L'édition 2016 pris part au laboratoire Edward O Wilson (http://eowilsonfoundation.org/e-o-wilso ... gorongosa/), au sein du parc national du Gorongosa, Mozambique. Ce lieu ne fut pas sélectionné au hasard : entre les escapades du père de la sociobiologie (ayant de fait donné son nom au laboratoire inauguré pour l'occasion) et l'écrasante biodiversité locale, peu de lieu seraient plus adaptés à la découverte du monde myrmycéen. De plus, ce parc national en pleine renaissance après une guerre civile l'ayant laissé exsangue se veut être un modèle de développement durable et de support scientifique pour le sud de l'Afrique. Alors, quand une cinquantaine d'allumés les ont contacté pour demander un visa exploratoire des bestioles locales, ils s'en sont frottés les mains.
Je ne trouverai pas les mots pour réussir à faire passer le sentiment se dégageant d'une telle formation. Les connaissances brutes sur l'écologie et la taxonomie tropicale se transmettent en continu au point de vous en brûler les nerfs optiques. Les paysages grandioses écrasent la qualité d'être humain qui nous définit, miniaturisé par une nature trop grande. Mais peut-être plus que tout, l'on se sent pleinement intégré à une communauté soudée avec laquelle on vit et l'on apprend. Loin de l'amateurisme, loin des forums, loin de la civilisation, déracinant les arbres morts à la pioche main dans la main avec des myrmécologues dont les noms et carrières suffisent pour vous donner des sueurs froides. Pourtant, vous êtes bien là au bout du monde avec eux, échangeant connaissances, histoires personnelles et blagues parfois salaces avant de partager une bière bien méritée... Bref, si je ne trouverai donc jamais les mots, je peux en revanche, trouver quelques clichés.
Chitengo étant le point d'arrêt et de retranchement de cette joyeuse bande, on peut y observer une faune peu farouche n'ayant absolument pas peur de s'inviter de très près. C'est donc sous l'indifférence des phacochères et les regards curieux des vervets que l'on chasse, traque et déterre les fourmis du coin.
La myrmécofaune d'Afrique du sud est n'a rien de comparable avec celle que l'on a tant l'habitude de côtoyer. Je commencerai par dire que les espèces de Pheidole du groupe megacephala sont peut-être parmi les espèces les plus dominantes du parc, tous biotopes confondus. Littéralement partout de la station à la forêt vierge, elles grouillent, n'hésitant pas à se jeter sur la moindre miette de nourriture ni a s'engager en pugilats féroces avec les colonies voisines. On n'y retrouve également quelques Pheidole sympathiques d'autres groupes, comme ces Pheidole liengmei dont les major atteignent des tailles respectables frôlant le centimètre.
La diversité en Ponerinae est importante, pour la plus grande joie des petits et des grands. Et puisqu’on en parle, la révision majeure de la sous-famille a complètement explosé le genre Pachycondyla en une multitude de nouveaux genres dont la dénomination à jour sera utilisée ici. De fait, avec les auteurs de la révision sur place, le premier a avoir encore utilisé Pachycondyla pour décrire une Platythyrea s'est pris un coup de binoculaire entre les ocelles qui suffit à faire passer le message.
Ce sont donc de puantes Paltothyreus, de piquantes Platythyrea, de discrètes Bothroponera et d'imposantes Plectroctena sortant la nuit pour festoyer sur les pauvres Nasutitermes du coin, bien incapables d'opposer la moindre résistance à ces assaillants trop forts pour elles.
Toujours dans la station, de nombreuses Crematogaster font ce qu'elles font de mieux, tandis que la lueur nocturne révèle de nombreuses autres Camponotus et Polyrachis de toutes couleurs et formes fourrageant au grès du vent. A noter que la taxonomie des Camponotus du coin, tout comme celle des Crematogaster au passage, est un vrai lupanar pour riches philanthropes. Avec trop d'espèces non décrites on s'y perd et on s'arrête au genre, résigné et tout penaud.
Nylandera, Technomyrmex, Plagiolepis, Pheidole, Strumigenys, Monomorium : toutes s'y retrouvent, et toutes sont bien trop petites pour être photographiées correctement. Oecophylla longinoda occupe la canopée, Odontomachus troglodytes grouille sur la litière du sol, et de magnifiques Tetraponera, comme cette reine de T. schulthessi que j'ai eu la chance de recueillir, occupent l'entre deux.
Enfin, un peu partout, les nids souterrains de Dorylus sillonnent la forêt. Les majors ont mauvais caractère, en contraste avec ce mâle placide renommé Pantoufle par la force des choses. Pantoufle et moi, on remonte déjà à il y a longtemps (enfin, surtout pour lui). Il m'a accompagné lors de toutes les escapades, m'a soutenu contre tous les dangers. Il possédait déjà à l'époque la vertu comique d'adopter un regard défiant empli de condescendante quand dérangé. Puisse-t-il à jamais servir la mémoire, un identifiant scellant pour toujours l'humour et l'arrogance de ses œils composés qui lui furent uniques, dans sa tombe d'éthanol absolu.
Les acacias découpant le paysages morcelé de tons ocres et jaunes jusque la ou balaie l'horizon,
Avec les bouses d'éléphants et termitières comme seuls reliefs d'une mer trop calme,
Le bruit distant de pioches ponctué d'injures pleines de larmes et de regrets,
Lors qu’effectivement, de l'excavation la Megaponera se défend,
Inondé sous le ciel bleu azure de l'Afrique,
C'est elle, l'incroyable savane.
Cependant, point de lions ni d'éléphants en vue, mais de très nombreuses Camponotus sp. du groupe maculatus occupent la jonction entre terre et bois mort sous le soleil de plombs des mers d'herbes sèches. Quelques nids de Myrmicaria sp. peuvent être trouvés à l'ombre de bosquets, ça et la. Et surtout d’impressionnant raids de Pachy... heu, Megaponera, peuvent s'observer. Surnommées localement les "matabele ants", ces Ponerinae purement termitivores lancent de brutaux et féroces assauts sur les termitières du coins, toutes mandibules dehors. Il est au passages et selon la coutume indigène, fortement déconseillé d'essayer d'interrompre un raid du pied. Une piqûre serait, paraîtrait-il, la meilleure manière de vous faire réviser les injures les plus outrageuses que vous connaîtriez dans toutes les langues. Cet état de fait se vérifia de temps à autres par de distants cris gutturaux de surprise et de colère audibles dans le lointain, tels une ode douce et mélancolique au travail du myrmécologue moderne.
Si l'on peut dire une chose sur les biotopes et la faune du Gorongosa, c'est qu'elle est multiple. Plus de 200 espèces de fourmis y ont déjà été recensées, et nous avons eu l'occasion d'en ajouter encore quelques une de plus à la liste ( http://www.antwiki.org/wiki/Ant_Diversi ... Mozambique). Imaginer recenser l'entièreté de cette faune en un balayage unique est utopique. Rien qu'espérer en photographier une partie significative en devient risible pour un individu isolé. Je n'ai donc que quelques images très fragmentaires à proposer à la vue. Il n'en reste pas moins que l'AntCourse se trouve être une expérience magique et recommandable sur tous les niveaux. Elle aura peut-être l'unique inconvénient de ne pas être facilement accessible hors des sphères universitaires. Mais quoi qu'il arrive et quoi que vous fassiez, arrêtez vous au moins un jour au Gorongosa. Vous n'en serez pas déçus.