Bonjour à tous,
Puisque nous continuons ici nos aventures, je vous propose de suivre quelques observations ponctuelles de la myrmécofaune d'une perle de l'hémisphère sud : Cape Town.
L'Afrique du Sud est un pays compliqué. Résultant d'un clash culturel entre Occident et Afrique, Cape Town (CT pour les intimes) est une ville à l'image de son état. Une histoire difficile empreinte des heures sombres de l’Apartheid, une société profondément divisée, une pauvreté criante contrastant avec des plages de sable fin bordées de luxueuses villas. Des boutiques de luxe avec les mêmes barbelés électrifiés que ceux protégeant chaque habitation d'un potentiel intrus. Une paranoïa sécuritaire en opposition avec l’accueil des habitants. Une déclinaison infinie de contrastes interpellants avec lesquels l'Européen moyen n'a pas souvent été en contact. Et bien sur, le gros, gros paquet de touristes venu dépenser une montagne de fric s'assure que CT soit de fait la ville la plus visitée d'Afrique.
Un point important : c'est l'Afrique. Et l'Afrique, c'est énorme. L’Afrique du sud en tant que pays n'y fait pas exception. Pour une superficie deux fois égale à celle de la France, un climat méditerranéen et probablement un bon millier d'espèces de fourmis recensées, il n'existe pas de projet équivalent à Antarea ou autres recensement systématique des espèces locales. Même pour un taxonomiste aguerrit, il est donc parfois (très) difficile de s'en sortir. Alors plutôt que de prendre le risque de raconter des âneries, la plupart des identification s'arrêteront au genre par sureté (à moins d'une certitude d'espèce absolue). Je vous renverrai à AntWeb si vous voulez exercer votre propre œil : https://www.antweb.org/taxonomicPage.do ... h%20Africa
Voyons un peu ce qui s'y trouve.
1. Le cœur urbain de la ville
Bien entendu, ici nous parlerons bétons. Nous parlerons rues, allées, parcs, routes à 4 bandes, arbres ornementaux et jardins. Nous parlons d'un milieu hautement perturbé par l'homme, avec sans surprise une myrmécofaune à la même image.
Dans ces milieux donc, nous retrouveront une bonne dose de pestes. Ces petites fourmis formant de grandes colonies avec un rythme reproducteur effréné, qui s’adaptent si bien de ces jungles urbaines et artificielles. Dans ce milieu, les pestes se partagent la dominance. La première espèce rencontrée sera probablement pour le touriste Lepisiota capensis, abondante et endémique de la région, formant d'énormes colonnes de fourragement à toutes heures de la journée. Talonnée de près par Linepithema humile, notre fourmi d'argentine tant aimée. Oui : vous pouvez vous tapez 11 heures de vols vers une destination exotique africaine pour voir une fourmi d'argentine. Glamour.
Dans ce milieu, vous retrouverez donc également du Pheidole megacéphala, et du Paratrechina longicornis. C'est la fête aux invasives. Et parfois, parfois, vous tomberez sur une Pheidole ou une Tetramorium locales qui s’acquittent comme elles peuvent d'une si piètre compagnie.
Bref, tout cela n'est pas bien folichon.
2. Table Moutain National Parc
Heureusement, la ville est prise en étau par son relief encaissé dont Lion's head et Devil's peak forment les contreforts, et l'imposante Table Moutain le dossier. Ces zones sont reprises sous le Table Mountain National Parc, et donc relativement protégées de la perturbation urbaine, et accessibles. Les zones de basse altitude sont composées de landes xérophiles envahie de fynbos en tous genres, et la vue de la montagne sur la ville n'est foncièrement pas mauvaise.
Sans surprise, ici, la diversité myrmécologique augmente, et l'on rencontre un bon nombres d'espèces à l'africaine, comme C. maculatus et Messor capensis. Ou encore, l'impressionnante et rougeoyante Messor luebberti dont les respectueux majors atteignent une taille comparable à notre bien connue M. barbarus. On s'amuse déjà un peu plus.
Quelques Pheidole locales s'ébattent dans la végétation sèche, et Lepisiota capensis reste très abondante localement. En cherchant bien, on peut même y rencontrer Leptogenys castanea. Comment ça, vous n'aimez pas les Ponérines ? Moi non plus.
Puis bien sur, il existe d'autres bestioles sympathiques dans les environs, telle ce magnifique Opistophthalmus capensis manifestement pas content d'avoir été dérangé. Si vous envisagez l’ascension de la montagne, vous pourriez même rencontrer cet agressif et vil rongeur de caillasse qui paraitrait-il, serait plus proche de l’éléphant que de la souris. La ressemblance avec le pachyderme n'est pas frappante. Et il mort le bougre.
3. Kirstenbosch National Botanical Garden
Now were're talking. Il s'agit tout bonnement d'un site enchanteur localisé de l'autre coté de la montagne, verdoyant et drapé de couverts nuageux descendants des sommets. Un des meilleurs jardin botanique au monde, une zone préservée, un oasis d'Afrique et mon coup de cœur de l'endroit. Et si vous faite partie de ces gens sans humour qui n'aiment pas la chlorophylle, la myrmécofaune sera tout de même vous arracher un sourire.
Ici, c'est plus vert, et un peu moins sec. Cela se ressent. Au détour d'un chemin pentu, l'observateur averti pourrait rencontrer d'attachantes Meranoplus toutes velues dont les nids en terre mâchée affleurent sur les rochers. D'agressives Crematogaster arboricoles se baladent un peu partout. De nombreuses Monomoriums translucides sous l'écorce des arbres, dont la période d'essaimage battait son plein, s'y retrouvent. En fait, Monomorium est ici un genre abondant représenté par de nombreuses espèces dont je ne me risquerai pas à proposer le nom exact. De petites Tetramorium claires gambadent joyeusement sur le sol, accompagnées de quelques Plagiolepis. Tout le monde est heureux.
Au moins trois espèces de Camponotus différentes sont présentes sur le site, et si vous daignez levez les yeux du sol, vous pourrez peut-être apercevoir Tetraponera natalensis . Certaines espèces d'Hypoponera sont également bien planquées, le tout sous la canopée humide. Que vouloir de plus ?
Le mot de fin
CT et sa région sont magnifiques. Mais comme dans toute grande ville, il vous faudra vous éloigner un peu du centre urbain pour voir apparaitre un nombre intéressant d'espèces locales. L'Afrique reste en général, un assez beau bordel taxonomique au niveau myrmécologique, avec son lot confus d'espèces non décrites et une diversité énorme. Pas simple. Mais quoi qu'on en dise, que cela soit pour observer la milifaune de l'ombre que personne d'autre que le myrmécologue ne sait observer, vous faire copain avec les pingouins du Cap, profitez de la plage, du vin, de la culture, ou encore bouffer du springbok à tous les repas : l'Afrique du sud sera faite pour vous.
Merci !
