Dans le sable du Namib

Présentez vos observations sur les fourmis en milieu naturel au gré de vos balades et voyages.
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Will
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Dans le sable du Namib

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Dans le sable du Namib
(Namib ants)


Bonjour à tous,

Je vous propose ici de suivre quelques observations réalisées dans le parc national du Namib-Naukluft. La Namibie, ou à tout le moins cette région la de Namibie, est sympathique si on aime le sable et la caillasse. Ancienne colonie allemande pour ceux qui aiment la bière, assez proche de l’Afrique du sud pour ceux qui aiment le vin, la jeune Namibie jouit d'une stabilité politique enviée par beaucoup de ses voisins africains. Outre la beauté spectaculaire des paysages, il s'agit d'un des endroit non pas les plus chaud mais les plus sec de la planète. Le manque d'eau omniprésent ferait passer le Sahara pour une nappe phréatique. L'on se sent tout petit, à l'ombre de cette mer dunes millénaires atteignant parfois quelques centaines de mètres de haut (yup, ça fait beaucoup de sable), ou l'immensité vide de de plaine de gravier (Gravel plain). Il s'agit en effet des deux types de déserts que l'on retrouve dans la région, séparé entre-eux par la Kuiseb, une rivière éphémère coulant en moyenne tous les deux ans, dont les berges sont les seules contreforts boisés sur quelques centaines de kilomètres à la ronde (et encore, on parle de vilains acacias piquants et rabougris).

Dunes en dessous, gravier au dessus, Kuiseb au milieu, Dans le sable du Namib
Dunes en dessous, gravier au dessus, Kuiseb au milieu
Le Namib,, Dans le sable du Namib
Le Namib,

Une mer de dunes à l'horizon, Dans le sable du Namib
Une mer de dunes à l'horizon
Et un grand rien du tout, Dans le sable du Namib
Et un grand rien du tout


De manière surprenant, la région n'est pas aussi chaude que vous pourriez l'imaginer. Sans réelle saison au long de l'année, la température oscille entre 30 et 40°C en journée, et une petite vingtaine la nuit. Parfois un peu plus ou un peu moins. C'est chaud, certes, mais ce n'est pas écrasant. C'est bien le manque d'eau qui est ici problématique. J’eus donc vite fait de joindre cette mission myrmécologique centrée au Gobabeb research and training center. Charmant petit centre de recherche servant de point de ralliement à toute une foulée de scientifiques divers et variés intéressés de près ou de loin par la région: géologues, microbiologistes, herpétologiques, ou encore votre myrmécologue occasionnel. Le tout tournant à l'énergie solaire et au rationnement d'eau, s'entend.
Gobabeb research and training center, Dans le sable du Namib
Gobabeb research and training center

Chers amis, j'aimerais pouvoir vous dire que la région, aussi fantastique soit-elle, abrite une diversité myrmécologique hors du commun. Bien entendu, ce n'est pas le cas. La vie dans le coin est rude. Très rude. Trop rude en fait, pour un quelconque organisme ne présentant pas un haut niveau d'adaptation spécifique à l'endroit. Niveau fourmis, nous parlons tout au plus d'une petite dizaine d'espèces réparties dans quelques genres. Voici une liste incomplète de ce que l'on peut trouver dans le coin. Même incomplète, cela ne pèse pas bien lourd.
Gobabeb liste, Dans le sable du Namib
Gobabeb liste
Source : Henschel, J. R., Mtuleni, V., Pallett, J. O. H. N., & Seely, M. K. (2003). The surface-dwelling arthropod fauna of Gobabeb with a description of the long-term pitfall trapping project. Journal of the Namibia Scientific Society, 51, 65-92.

Séparons donc cette recherche en trois points distincts : le lit de la Kuiseb, la gravel plain, et enfin les dunes rougeoyantes.
(I) Le lit et les berges de la Kuiseb
La Kuiseb, à sec bien entendu, Dans le sable du Namib
La Kuiseb, à sec bien entendu

Sans surprise, c'est ici, sous le couvert végétal, que l'on rencontre la plus haute diversité d'espèces pour l'endroit. Commençons en force avec Ocymyrmex robustior, l'équivalent Cataglyphis de l'Afrique sub-saharienne. Ces bestioles ne sortent qu'au pic de la journée pour récolter des cadavres de congénères moins chanceux, se déplacent très rapidement du haut de leurs pattes sveltes, bref, vous voyez le topo. Point de reine, mais une ouvrière ergatoïde fécondée indiscernable de la force corvéable est présente au sein du nid. Intéressante bestiole. Ocymyrmex se retrouve aussi dans la gravel plain (mais pas dans les dunes), avec une densité de nid cependant bien inférieure à celle rencontrée ici.

Ocymyrmex robustior, Dans le sable du Namib
Ocymyrmex robustior
Ocymyrmex robustior, Dans le sable du Namib
Ocymyrmex robustior


A l'ombre des acacias, abrités sous les troncs morts gardant un minimum d'humidité, vous trouverez également Pheidole tenuinodis, assez présente et dominante dans le coin. Ça à la taille d'une Pheidole pallidula, la couleur d'une Pheidole pallidula, la tronche d'une Pheidolle pallidula, mais ce n'est pas une Pheidole pallidula. Joie et exaltation.

P. tenuinodis, Dans le sable du Namib
P. tenuinodis
Pheidole tenuinodis, Dans le sable du Namib
Pheidole tenuinodis


En cherchant un peu au sol, vous pourrez rencontrer Monomorium viator, ou cette petite Lepisiota sp. Toujours à l'ombre, toujours proche de la végétation, toujours proche de l'humidité. On survit comme on peut.

M. viator, Dans le sable du Namib
M. viator
Lepisiota sp., Dans le sable du Namib
Lepisiota sp.


Enfin, l'on trouve également un duo iconique. Camponotus robecchii est espèce un peu carrée de petite taille, que l'on rencontre souvent aux cotés de... (roulement de tambours)... une Crematogaster sp. au coloris similaire ! A l'image de l'association française entre C. lateralis et C. scutellaris, nous avons ici l'exploitation des pistes de récoltes de Crematogaster par une Camponotus lui ressemblant quelque peu, et ce à l'autre bout du monde. Une observation intéréssante, non ?

C. robecchi, Dans le sable du Namib
C. robecchi
Crematogaster sp., Dans le sable du Namib
Crematogaster sp.


Enfin, il est également possible de tomber sur Camponotus mystaceus à la nuit tombée, espèce jaune et strictement nocturne. Point de photos ici, vous m'en pardonnerez, mais elle est bien la.

Dans les divers, l'on rencontre également une abondance de scorpions foncièrement détestables dans ce lit de rivière. Notamment la célébrité locale du Namib, Parabuthus villosus, une sorte d'énorme molosse de 20 centimètres possédant une des piqure les plus dangereuse au monde (pour un scorpion). De quoi vous amputer une jambe si vous n'êtes pas traité. Ce fort sympathique animal surnommé Simon pour l'occasion, a par ailleurs tenté de rentrer dans ma chemise pendant que je creusais un nid d'Ocymyrmex. Fort heureusement, il était jeune. Fort heureusement, il fut maitrisé sans encombre. Fort heureusement, le centre possède un sérum approprié, juste au cas ou.
P. villosus, Dans le sable du Namib
P. villosus

Puis, quelques sorties nocturnes révèlent des couleurs insoupçonnées. Tous les scorpions sont fluorescents sous UV, vous le saviez ? C'est assez utile pour les repérer, et assez joli. Puis à la nuit tombée sort une autre star du Namib : le gecko palmé, pâle créature translucide à l’œil morne. Attachant.

Bark scorpion, Dans le sable du Namib
Bark scorpion
Palmigecko, Dans le sable du Namib
Palmigecko

(II) La plaine de gravier
Et un grand rien du tout, Dans le sable du Namib
Et un grand rien du tout

Ici, la diversité devient franchement limite, et cela tombe sous le sens. Mais à l'occasion d'un affleurement de granit quelconque, vous rencontrez parfois deux espèces. Anoplolepis steingroever et la granivore Tetramorium jordani. Quelques colonies d'Ocymyrmex peuvent se trouver ça et là. Et puis c'est tout. Parait qu'on peut aussi trouver des Messor dans le coin, mais personellement je n'en ai pas vu l'ombre d'un métatarse. Et puis, parce que tout le monde adore le métal en fusion, pourquoi ne pas couler un nid d'Ocymyrmex en aluminium ? Pourquoi pas en effet. Nous avions la chance d'avoir l'un des rares spécialistes capable de faire cela proprement avec nous.

T. jordani, Dans le sable du Namib
T. jordani
And it burns, burns, burns, Dans le sable du Namib
And it burns, burns, burns

(II) Les dunes
Dunes, Dans le sable du Namib
Dunes

Elles sont hautes, elles sont belles, elles offrent des couchés de soleil aux reflets ocres à couper le souffle. Les dunes sont l'emblème même du Namib. Le sable chaud et fin offre une sensation ma fois fort agréable à la plante du pied, et un dépaysement sans faille. Il s'agit par ailleurs d'un milieu totalement dénué de fourmis. A une seule exception de taille : Camponotus detritus. Mais comment font elles pour survivre dans cet environnement absent de tout ?
C. detritus, Dans le sable du Namib
C. detritus

La réponse est relativement simple. Les colonies sont énormes, polycaliques, et logées dans les touffes de Stipagrostis, seule végétation poussant dans le sable et formant des ilots de stabilité dans un milieu trop fluide. Les nids sont superficiels, et la quasi totalité de la nourriture de l'espèce provient de cochenilles cultivées sur la dite plante. Les ouvrières s'amassent en journée sur les herbes, se gavant de miellat. Ça, et quelques cadavres bien grillés sous le soleil. C'est un peu près la toute leur pitance.
C. detritus, Dans le sable du Namib
C. detritus

Ces colonies sont ultra-territoriales, et les ouvrières ultra-agressives. Des escarmouches aux abords des touffes de Stipagrostis sont fréquentes, et des ouvrières estropiées un peu partout aussi. De plus, elles voient bien. Dans le genre, capable de repérer et suivre votre jambe à 3 mètres si vous approchez trop d'un nid, toutes mandibules dehors.

C. detritus, Dans le sable du Namib
C. detritus
C. detritus, Dans le sable du Namib
C. detritus


C'est tout niveau fourmis pour les dunes. Mais en cherchant un peu, vous pourriez vous trouver quelques copains en plus.
Sand snake, Dans le sable du Namib
Sand snake
(IV) Le mot de fin
Un des plus beau endroit au monde, tout simplement. Pas le coin le plus diversifié en espèces de fourmis mais que diable, quelles espèces ! La Namibie offre de nombreux biotopes, et le désert n'en est qu'un. Ils vous suffira de remonter au nord pour se voir s'offrir à vous la grande Afrique de savanes. Même si le pays ne peut pas prétendre offrir un réel tourisme culturel, tout le monde peut y trouver son compte. Le spectacle des yeux est inlassable. Et si un jour vous envisagez l'expérience, munissez vous de votre crème solaire, et habituez vous déjà au sable.

Merci ! ;-)
Walvis bay, Dans le sable du Namib
Walvis bay
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Re: Dans le sable du Namib

Message non lu par Heydax »

Quel périple !

Très intéressant reportage (à nouveau) sur la faune locale, même si l'histoire du scorpion ne fait franchement pas rêver... :-s

Sympa les Camponotus detritus in natura, ça va te faire quelques spécimens sympa à ramener (en plus tu as l'air de tomber sur des gynes, que demande le peuple !), de même que l'apparente cohabitation entre Camponotus et Crematogaster...

Je n'ai pas trouvé mon pseudo cette fois, il y a du mieux. :-P
Dernière modification par Heydax le mar. 9 mai 2017 13:20, modifié 1 fois.
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Re: Dans le sable du Namib

Message non lu par Necoman »

Sympa ce petit récit. Il y a vraiment de chouettes bestioles par là bas. *good*

Comme le dit Heydax, il est surprenant de retrouver l'équivalent de nos "batésiennes" locales.
Necomane a vraiment tout dit.
Encore une fois Neoman a tout dit.
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Re: Dans le sable du Namib

Message non lu par olimos »

Très joli reportage.

As-tu des photos du nid en métal coulé ?
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Re: Dans le sable du Namib

Message non lu par Fourmilax »

Ma.gni.fique. Je suis bouche bée devant tes photos (qui ne me donne qu'une envie: voyager o_O ).
Entre ça et le Cap tu nous régales !
Je trouve ça génial de retrouver le comportement C. lateralis- C. scutellaris de l'autre côté du continent !!! Comme quoi les fourmis ne cessent jamais de surprendre...
Dernière modification par Fourmilax le mar. 9 mai 2017 14:29, modifié 1 fois.
Et cent millions de têtes rousses tout autour
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Re: Dans le sable du Namib

Message non lu par Rignarok »

Extras les photos ! Mes parents sont aussi allés en Namibie et ils ont trouvé ça génial avec des photos qui donnent envie. C'est vrai que toutes ces variantes d'ocre sont très jolies. Bon eux ils n'étaient pas venus pour chasser des fourmis. :mrgreen:
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Re: Dans le sable du Namib

Message non lu par Garneray »

Merci beaucoup pour ce nouveau reportage ! :slap: Un plaisir de suivre tes périples.
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Clem750
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Re: Dans le sable du Namib

Message non lu par Clem750 »

Merci pour ce nouveau reportage, tout aussi plaisant et intéressant à lire que le précédent. *good*

Personnellement, j'ai tout découvert ; y compris la "fluorescence" des scorpions lorsqu'ils sont exposés de nuit aux rayons UV. 8-O
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Will
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Re: Dans le sable du Namib

Message non lu par Will »

Merci pour le retour, cela fait toujours plaisir !
Pour ce qui est du nid en aluminium malheureusement, ça marche moins bien qu'avec des Pogonomyrmex ou des fourmis de feu. Ocymyrmex n'était pas spécialement le genre adapté, galerie trop fine, petit nid, tout le tralala. Bref, ça n'a pas bien marché. :mrgreen:
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C-R
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Re: Dans le sable du Namib

Message non lu par C-R »

Que dire sinon que c'est parfait, merci de nous faire rêver avec tes voyages ! *good*
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